JE NE CROIS PAS A LA CRISE DU THEATRE
Au temps de mon adolescence, André Antoine régnait en roi sur l'art dramatique français,. Modeste petit employé du gaz, parvenu à la direction du Théâtre de l'Odéon, ce 'révolutionnaire', qui avait pris son envol au plus éclatant moment du réalisme, était craint, respecté et admiré ; M. Antoine est mort dans la misère.
En marge, Lugne-Poe, avec des moyens de fortune ou d'infortune était un grand chercheur, un grand découvreur. Nombre important d'auteurs actuellement 'arrivés' et qui commencent déjà à être 'démodés' lui doivent leur fortune ou tout au moins leur notoriété. Lugne-Poe est aujourd'hui bien oublié. Puis, juste avant la guerre de 1914, Jacques Copeau arriva, inspiré d'Appia et de Gordon Craig, épaulé par la Nouvelle Revue Française, il révolutionna littéralement le Théâtre, en apportant sa méthode, sa mystique, son goût profond de la 'littérature de la scène'.
De lui se détachèrent Charles Dullin qui, d'abord dans une grange, ensuite au Théâtre Montmartre qui devint l'Atelier, réussit avec des fortunes diverses mais un rayonnement précis à insuffler une vie intense, comme un roi des nomades, à toute une jeunesse de comédiens et d'écrivains.
Louis Jouvet aussi se détacha de Jacques Copeau et à la Comédie des Champs-Elysées et à l'Athénée enchanta toute une génération avec la perfection des 'fastes' qu'il distribua à Molière et à Jean Giraudoux.
Pendant ce temps, Georges Pitoëff, aidé de sa femme Ludmilla, à Genève, d'abord et à Paris ensuite émerveilla, du noir dans le noir, les nombreux auteurs étrangers, qu'il faisait scintiller de mille feux impondérables.
Et Gaston Baty, de son côté, avec une méthode précise et religieuse marquait les temps de sa théorie du silence par les feux croisés de ses projecteurs, pendant lesquels on pouvait voir et entendre l'âme de Marguerite Jamois.
Aujourd'hui, Jean-Louis Barrault, Jean Vilar, Vitaly et d'autres font flotter leurs étendards avec toute la passion, toute la foi, que leur inspire l'art.
Mille et une compagnies dramatiques naissent, souffrent et travaillent. Et nous avons les 'Centres Dramatiques'. Non, je ne crois pas à la crise du Théâtre, mais je crois à son immortalité. Malgré la concurrence du cinéma, de la radio et demain de la télévision.